Grève et rassemblements. A présent, les patriotes veulent faire
le siège de la Présidence. Ah ! Depuis le temps que je vous dis
qu’il y a quelqu’un de…
… suspect à l’intérieur de c’bâtiment !
Aujourd’hui, nous sommes en direct de La Casbah, ce mythique quartier de la capitale. Et pourquoi sommes-nous donc allés à La Casbah avec bloc-notes, stylos, micros et caméras ?
Tout simplement parce que nous venons enfin de dénicher l’ultime entreprise du pays qui ne soit pas en grève, dont les ouvriers ne menacent pas d’aller débrayer, de tenir sit-in
devant la Présidence et dont le patron n’envisage pas de s’immoler par le feu. Mais plutôt que de monopoliser la parole, donnons-la cette parole à Si l’Hadj, à la tête de cette
dinanderie, une entreprise que sa famille possède depuis trois générations :
- Si l’Hadj, c’est au bout de longues recherches que nous sommes tombés sur votre échoppe. La seule boîte du pays sur laquelle ne souffle aucune brise de révolte ni de grève. Vos
ouvriers n’envisagent pas de mouvement de protestation, si j’en crois mes sources ?
- Aucune grève mon fils, pour la simple et bonne raison que je n’emploie aucun ouvrier. Je travaille seul ici.
- Et vous vous êtes auto-déclaré à la Sécurité sociale, je suppose ?
- Pourquoi diable voudrais-tu que je me déclare à la caisse, mon fils ? Je travaille. Comme a travaillé mon père, et son père avant lui. Si je vends, je mange, si je ne vends
rien, je serre la ceinture. Et ça fonctionne comme ça depuis des générations.
- Mais vous savez que vous ne bénéficiez d’aucune protection, ni de garantie pour vos vieux jours, Si l’Hadj…
- J’ai la protection de Dieu mon fils, ainsi que celle de Sidi Abderrahmane.
- Ça ne suffit pas ! Je peux vous orienter vers le bureau de la Casnos, section Haute-Casbah. Ils vous ouvriront un dossier et tout ce qui va avec …
- Mais je ne veux pas ouvrir de dossier ! Je veux continuer à pratiquer mon métier comme je l’ai toujours fait. Et je ne vois pas en quoi ça te dérange ! T’es journaliste ou t’es
de l’Inspection du travail ?
- Ne vous fâchez pas, Si l’Hadj ! Je suis journaliste, mais ce que j’en dis, c’est juste pour vous rendre service. Imaginez que le ministère et l’UGTA apprennent que vous vous
employez sans vous déclarer à un organisme de protection sociale, hein ? Imaginez !
- Je ne veux rien imaginer du tout. Je veux juste que tu me foutes la paix !
- Taratata ! Ne le prenez pas sur ce ton, Si l’Hadj. Il suffit d’un article dans mon canard pour que votre échoppe reçoive les inspecteurs du travail et ceux des Impôts. Et
d’ailleurs, est-ce que vous payez des impôts ?
- Dégaaaaaaaaaaaage ! Si tu ne dégages pas dans la minute qui suit, wallah, kassaman billah, et malgré mes 89 ans, je m’en vais grimper jusqu’à la place d’El-Mouradia pour
protester nuit et jour contre des emmerdeurs comme toi. Et si, au bout de mon sit-in permanent, je n’arrive pas à satisfaire ma seule et unique revendication, ne plus t’avoir dans
mes pattes, je passerai alors à une forme de protestation encore plus violente.
- Laquelle, Si l’Hadj ?
- Fumer du thé pour rester éveillé à ce cauchemar qui continue.
H. L.
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